Mohammad Rasoulof n’est pas un inconnu dans le monde du cinéma, à l’inverse il risque de l’être dans son propre pays, l’Iran, où ses films sont rarement distribués, rarement ou jamais.
Déjà présents dans de nombreux Festivals, plusieurs de ses films ont déjà été récompensés, au Festival de Cannes en 2017 avec le Prix Un Certain Regard pour Un Homme Intègre, à la Berlinale en 2020 avec l’Ours d’Or pour Le Diable n’existe pas, Mohammad Rasoulof vient d’obtenir le Prix Spécial du Jury à Cannes pour La Graine du Figuier Sacré en 2024.
Un Prix Spécial, pour un film très spécial et attachant à plus d’un titre.
Le film nous montre un homme et sa famille, un homme à qui sa récente promotion de juge d’instruction pose problème, en dépit des avantages sociaux et économiques, et qui va se retrouver pris dans un engrenage aussi improbable que pernicieux.
C’est un film sur le pouvoir masculin, un pouvoir progressivement insupportable à force de compromis et de contraintes … Les hommes n’en peuvent plus à force de déni, les femmes aussi à force de subir.
Hommes et femmes sont pris dans un étau, chacun rentre en lui-même afin de trouver des raisons de vivre, des moyens de s’en sortir … Seules les femmes vont apparaitre comme dotées d’une force de rédemption, de rédemption par la jeunesse et la non compromission.
À aucun moment le film de Mohammad Rasoulof ne transpire la tristesse, tant il est porteur d’espoir, riche de multiples messages et du courage de celles et ceux qui ne supportent plus, certains descendent, d’autres s’élèvent au féminin.
La Graine du Figuier Sacré est un film émaillé d’images d’actualités prise dans son pays d’origine lors des récentes manifestations en Iran : ces images donnent le ton, rythment la cadence et montrent la voie choisie par le réalisateur, l’essence même d’un film indépendant.
Il émerge de l’ensemble un film brillant, tant sur la forme que sur le fond, un film qui dérange l’ordre établi.
Serait-ce un pur hasard ou une des raisons pour laquelle le film a été programmé le dernier jour de la manifestation cannoise et l’après midi de surcroit ?
N’empêche, quand le réalisateur a fait son entrée dans la Grande Salle Lumière en tenant deux photos, une dans chaque main*, le public s’est levé pour l’accueillir avec une standing ovation mémorable.
Mohammad Rasoulof lui-même confiait que l’idée de ce film lui était venu en détention suite à une condamnation pour critique du pouvoir en place.
Lors de son séjour en prison, un gardien lui a glissé un stylo dans la main …
Étonné, il prit le stylo et apprit plus tard de la bouche de ce même gardien que ce dernier n’osait pas parler à sa femme de son travail, par honte, par déni, par lâcheté ?
En donnant ce stylo, le gardien a contribué à la naissance du scénario de La Graine du Figuier Sacré permettant à Mohammad Rasoulof de réaliser le film par la suite.
Un film sur le libre arbitre et la nécessité de choisir entre la déchéance d’une compromission existentielle et le renouveau éthique des lendemains qui chantent.
Une oeuvre forte ! Elle nous montre que pour certains les chaines peuvent être mortifères à force de les ignorer … et devenir libératrices pour d’autres, à condition d’en prendre conscience.
À travers la vie de cette famille, c’est l’histoire d’un pays, d’une civilisation, d’une communauté qui nous est contée.
Une histoire figée au présent sans tenir compte des attentes de celles et ceux qui en écrivent la partition.
Marc Lanteri – 12/6/2024
* Les deux photos sont celles des deux interprètes de son film restés en Iran
Date de sortie en France : 18 septembre 2024